Caroline de Lichtfield


[Le bonheur champêtre et la jouissance, Volume III, pp. 60 - 81]

[60] Le comte, enchanté, l'écoutoit avec ravissement, et n'avoit garde de l'interrompre. Avec quel feu, avec quelle éloquence touchante et persuasive elle lui détailla tout ce qu'elle avoit éprouvé pendant sa convalescence! Et depuis leur arrivé à Berlin, ses espérances, ses craintes, ses projets continuels de le faire lire dans son âme; la timidité [61] qui la retenoit; cette envie de lui plaire, de l'attacher à elle, de le rendre le plus heureux des hommes: son chagrin de n'y pas réussir; sa résolution de la veille de s'éclaircir avec lui, de lui ouvrir son âme; sa douleur extrême en apprenant son départ; son désespoir en recevant ce fatal paquet; sa joie en voyant clairement dans la lettre de son époux, qu'elle étoit aimée: tout fut exprimé avec cette rapidité, cette éloquence naïve du sentiment, qui ne peut laisser aucun doute.

A présent, lui dit-elle, vous connoissez Caroline comme elle se connoît elle-même; il ne me reste plus qu'à vous peindre son bonheur; mais peut-il s'exprimer? Elle aime; elle est aimée; elle ose le dire sans rougir; elle ose l'entendre et se livrer à ses sentimens. Cher comte, actuellement que nos coeurs s'entendent, jugez le mien d'après le vôtre!

Il alloit lui répondre et lui expliquer à son tour les motifs secrets de sa conduite, [62] lorsqu'il fut interrompu par Wilhelm. Il entra en disant que les habitans du village avant appris que cette belle dame étoit madame la comtesse, ne vouloient pas s'en aller qu'ils ne l'eussent revue, et demandoient avec acclamation qu'elle voulût bien reparoître un instant.

Caroline, conduite par son époux, descendit dans les cours du château, et fut reçue avec des cris redoublés de vivent monsieur le comte et madame la comtesse. Le comte leur fit distribuer du vin et de l'argent.

Caroline lui serrant la main de l'air le plus attendri, lui disoit doucement: O mon ami! ces bonnes gens ne se doutent pas qu'ils célèbrent véritablement l'époque de notre union, et du bonheur de toute notre vie . . . Ah! si vous permettiez. -- Permettre, ma Caroline . . . ordonnez. -- Eh bien! faisons des heureux, des heureux comme nous. Il y a sûrement dans cette foule des jeunes gens qui s'aiment, marions [63] tous ceux qui voudront l'être. Le comte lui baisa la main avec transport. -- Chère . . . adorable Caroline! faisons mieux encore, éternisons la mémoire de ce jour fortuné. Puisque c'est ici que ma Caroline m'est rendue, je veux que ce lieu se ressente à jamais de mon bonheur; et je vais faire une fondation à perpétuité pour six mariages toutes les années.

Caroline se chargea d'annoncer elle-même aux paysans cette bonne nouvelle. Les cris, les acclamations, les bénédictions redoublèrent: au milieu de ces tumultueux transports, on auroit pu facilement distinguer les voix des jeunes amoureux, qui croient plus fort que les autres: Dieu bénisse à jamais nos bon maîtres.

Le comte aperçut Louise et Justin dans un coin de la cour avec leur petite famille. Il les appela, et les présenta à Caroline: Voilà, ma chère amie, lui dit-il, un ménage que vous connoissez déjà. -- Ah! sans doute, c'est [64] la belle Louise. Louise rougit, et s'embellit encore. Quoique les travaux champêtres et trois enfans eussent diminué sa fraîcheur, elle étoit encore frappante. -- Ah, oui madame la comtesse, dit Justin avec cette physionomie expressive et naïve, qui annonçoit à la fois ses talens et sa candeur: c'est bien vrai cela; c'est bien ma belle Louise. Il n'y a dans tout le monde, je crois, que monseigneur qui ait une plus belle femme, et c'est bien juste; c'est sa récompense de m'avoir donné ma Louise.

Ce fut le tour de Caroline de rougir. Elle caressa les deux petits garçons, qui étoient charmans; et, s'apercevant de la grossesse de Louise, elle prévint sa requête, et lui dit qu'elle seroit la marraine de l'enfant qu'elle portoit. Louise voulut se jeter à ses pieds; elle la retint; mais Justin s'y précipita, baisa le bas de sa robe, et se releva, en disant: Sûrement le bon Dieu m'aime bien, car il m'accorde tout ce que je lui demande. Je lui ai tant demandé [65] ma Louise, qu'il mit au coeur de monseigneur de me la donner; je n'ai demandé après cela qu'une Louise pour monseigneur, et voilà qu'il l'a trouvée. A présent je vais lui demander pour vous, deux petits gars, jolis comme les nôtres, et vous verrez qu'ils viendront tout de suite.

Caroline se détourna, se baissa vers les petits gars, leur donna à chacun un baiser et un ducat, pendant que le comte, attendri, serroit la main de Justin, et jetoit sa bourse dans son chapeau. Pour échapper à leur reconnoissance, il proposa à Caroline d'entrer dans les jardins; elle y consentit. On étoit au mois de décembre: l'air étoit froid et nébuleux, la terre converte de neige et les bassins de glaçons. Mais ni l'un ni l'autre ne s'en aperçurent, et jamais promenade du plus beau printemps ne leur parut plus délicieuse.

Il y a long-temps que l'on sait que l'amour peut tout embellir, et qu'avec [66] l'objet aimé il n'est point de mauvaises saisons. Les jardins du comte étoient d'ailleurs remarquables par leur beauté, leur étendue, leur arrangement, et cités même comme un objet de curiosité pour les voyageurs. Caroline les avoit peu vus le jour de son mariage; elle ne les vit guère mieux à présent, mais s'y arrêta quelque temps. Enfin, le comte craignant pour elle le froid et l'humidité, la ramena au château. Ils trouvèrent une collation champêtre, préparée par Louise. Elle s'étoit hâtée d'aller chercher de la crême, quelques fromages, des marrons, des rayons de miel, et une pièce d'un chevreuil que Justin avoit tué. Voyez mon bonheur, disoit-elle, de l'avoir justement apprêtée hier pour régaler notre vieux père! Le bon Johanes! s'écria Caroline! eh bien Louise, i il faut qu'il en mange avec nous.

Louise courut le chercher. Il arriva appuyé sur Justin, et tremblant de [67] joie plus encore que de vieillesse. Caroline et le comte allèrent au-devant de lui; ils le prirent chacun par un bras, le placèrent dans un fauteuil, et le comte lui versant une rasade: Buvez ceci, bon Johanes, à la santé du plus heureux des hommes; -- et de celui qui mérite le plus de l'être, dit Justin. Le vieillard voulut aussi parler, mais il étoit trop ému, trop touché; il ne put que balbutier quelques mots, et lever les yeux et les mains vers le ciel. Cependant, après avoir bu un second verre à la santé de madame la comtesse, et l'avoir long-temps regardée, il s'écria tout-à-coup: Que Dieu soit béni d'avoir fait une si belle dame tout exprès pour notre seigneur. Vous êtes bien belle et bien bonne, madame la comtesse; mais aussi vous avez un ange pour mari. Si vous saviez quel bien il nous a fait! comme il a marié ma Louise!

Une fois que le bon vieillard fut ranimé par le vin, et en train de parler, [68] il ne pouvoit plus se taire. Il raconta à Caroline toute l'histoire du mariage de sa fille; et comme il ne vouloit point de Justin; et comme monseignneur l'attrapa; et comme il leur donna une bonne ferme, et cent ducats comptant; et comme il eut le malheur de se blesser en sortant de chez eux; et comme ils le portèrent au château, etc.

Caroline savoit tous ces détails par le cahier de Lindorf; cependant elle écoutoit avec délices. L'éloquence simple et naïve de ce bon paysan, le ton pénétré et vrai avec lequel il racontoit, le plaisir qu'il avoit à parler, et surtout l'éloge de son époux à chaque instant répété, l'attendrissoient jusqu'aux larmes. Elle le regarda cet époux si chéri et si digne de l'être; il étoit ému comme elle. Elle lui tendit la main avec un sourire, une expression, un regard qu'on ne peut décrire. C'étoit l'amour, la vertu, le bonheur; ce seul instant auroit suffi pour compenser un siècle de peines.

[69] Johanes buvoit, causoit et s'animoit toujours davantage. Il parla de son ménage, des soins touchans que ses enfans avoient de lui, de son cher Justin, qui étoit le meilleur des fils, des maris et des pères. Si c'étoit à refaire, disoit-il, je lui donerois ma Louise, quand même il n'auroit pas un sou vaillant; mais votre bonté, monseigneur, n'y a rien gâté. Et ces petits marmots que je vois là autour de moi, comme ça me réjouit le coeur! comme ça me rajennit! Si seulement ma pauvre Christine vivoit encore! Mais, à propos d'elle, monseigneur, qu'est-ce qu'est donc devenu son nourrisson, notre jeune baron de Lindorf? J'ai vu ça tout petit, moi; je suis son père nourricier, et je l'aime toujours. On nous avoit dit qu'il épousoit la soeur de monseigneur, et nous étions bien aises: il faut que les braves gens s'allient ensemble. Est-ce que c'est donc vrai, monseigneur, qu'il est votre frère? Non, pas encore; mais le sera bientôt, [70] j'espère, dit Caroline en se levant, et remettant à Louise son fils cadet, qu'elle avoit eu tout ce temps-là sur ses genoux.

Ils comprirent qu'ils devoient se retirer. Louise en avertit son père; mais le bon vieillard se trouvoit si bien dans son fauteuil, entre le comte, la comtesse et la bouteille, qu'il ne pouvoit se résoudre à le quitter. Laisse-moi encore ici, ma fille; c'est le plus beau jour de ma vie. A mon âge, il n'en reste pas beaucoup à perdre. Mais, mon père, dit Louise, nous embarrasserons monseigneur. -- Poijnt du tout, mon enfant; tu ne sais ce que tu dis. Je le connois mieux que toi; c'est son plaisir de voir les heureux qu'il fait: n'est-ce pas, monseigneur, que j'ai raison et qu'elle a tort? Mais à présent les enfans veulent en savoir plus long que leurs pères.

Le comte sourit; Caroline se rassit en faisant un signe à Louise; et le vieillard, content, commença une petite [71] chanson; il ne put l'achever. Je n'y entends plus rien, dit-il; le coeur y est, mais je n'ai plus la voix que j'avois quand je commandois l'exercice. C'est à toi, mon fils Justin: allons, prends ton flageolet, joue un air à madame la comtesse; Louise chantera; le petits danseront. Vous êtes là comme de grands nigauds; si je ne pensois à rien, moi, vous laisseriez monseigneur et sa dame s'ennuyer ici comme des morts.

Caroline ayant dit qu'en effet elle seroit bien aise d'entendre le flageolet de Justin, il le prit, et joua quelques allemandes que les deux petits garçons dansèrent avec grâce et gaîté. Leur mère suivoit des yeux tous leurs mouvemens; et le vieillard rioit et étoit aux anges en regardant le comte et la comtesse. Ne vous avois-je pas dit que c'étoit joli à voir. A présent, Louise, chante la chanson que ton mari a faite ces jours passés. -- Comment, Justin, s'écria Caroline, encore un nouveau [72] talent! Vous faites des chansons! -- Oh! mon Dieu non, madame la comtesse. Seulement de temps en temps un petit couplet pour ma Louise. Il préluda sur son flageolet, et Louise chanta avec une douce petite voix de village:

PREMIER COUPLET
On dit que l'amour
Ne dure qu'un jour
Dans le mariage:
C'est un conte que cela;
Si l'on aime, on aimera
Toujours davantage.
(Bis.)
II
Est-c' que le bonheur
Refroidit le coeur?
Non pas au village:
Depuis que je suis heureux,
Je sens augmenter mes feux
Toujours davantage
(Bis.)
III
Plus content qu'un roi,
Quand autour de moi
J' vois mon p'tit ménage,
Ma Louise et nos enfans;
Je les aime, et je le sens
Toujours davantage.
(Bis.)

[73] Louise se tut; Justin posa son flageolet, s'avança quelques pas, et chanta ce couplet, qu'il venoit de faire pendant que sa femme chantoit les précédens:

C'est à monseigneur
Que de notre coeur
Nous devons l'hommage;
Je ne forme plus de voeux,
Comme nous il est heureux,
Que m' faut-il davantage?
(Bis.)

Le comte et Caroline, émus, attendris et surpris des talens de Justin, lui donnèrent les éloges qu'il méritoit. Sa modestie et sa simplicité les surprirent plus encore; il ne comprenoit pas qu'on pût l'admirer.

C'est Louise, répétoit-il, qui m'a appris tout cela; sans le désir de lui plaire, je ne saurois rien. -- Mais ce dernier couplet? répétoit Caroline, composé dans un instant. -- Oh! pour celui-là, c'est monseigneur; je ne l'aurois pas trouvé si vite pour un autre . . .

Pendant la chanson, Johanes s'étoit [74] endormi profondément; ses enfans le réveillèrent à demi, et l'emmenèrent. Le coeur de Caroline étoit si rempli de mille sensations, qu'elle avoit besoin de l'épancher. Dès qu'elle fut seule avec le comte, elle se laissa aller à son attendrissement, et versa les plus douces larmes. Ce vieillard, ces enfans, ce couple si uni, la vénération, l'amour de ces bonnes gens pour le comte, qui rejaillissoit sur elle: tout avoit exalté son imagination et sa sensibilité, au point que son époux lui paroissoit un être surnaturel, un dieu bienfaisant, qu'elle devoit adorer, et qu'elle adoroit en effet. Ces sentimens, si long-temps comprimés et retenus dans son coeur, elle ose à présent leur donner essor; elle ose dire et répéter au plus aimé des hommes, qu'il l'est avec passion, qu'il le sera toujours; elle ose lui chanter en entier cette romance qu'elle composa et chanta si souvent loin de lui, avec tant de douleur. Cette preuve si forte et si touchante de son amour, elle [75] la lui chante avec une âme, une expression surnaturelles. Des larmes inondent encore ses joues; mais le comte ne peut plus se méprendre sur leur objet: ce sont les larmes du bonheur. Elles coulent doucement et sans effort, et n'interrompent point ses doux accens. Le comte les écoute avec un ravissement, un transport qui va jusqu'au délire. Chaque mot, chaque vers, portent au fond de son coeur la plus douce des convictions, celle d'être aimé de cette épouse adorée. C'est la voix céleste de Caroline qui lui répète: toi que j'adore: c'est son regard enchanteur qui lui demande: où veux-tu chercher le bonheur? et qui lui dit en même temps qu'il l'a trouvé.

Quand il seroit resté le moindre doute au comte, ce moment les auroit tous dissipés: mais il n'en avoit point. La naïve et tendre Caroline étoit loin de savoir dissimuler. Elle exprimoit tout ce que son coeur sentoit; et quand elle auroit voulu se taire, on l'auroit lu dans [76] ses yeux et dans son sourire. On voyoit d'abord que cette bouche charmante ne pouvoit proférer une fausseté, et qu'elle étoit l'organe de l'âme la plus pure et la plus sincère. Quand elle disoit je vous aime, ce seul mot valoit tous les sermens. Elle le dit si souvent au comte dans le cours de cette heureuse journée, qu'il dût être persuadé.

Ils soupèrent au coin du feu, du chevreuil que Justin avoit tué fort à propos; car le comte, en partant pour sa terre, abîmé dans sa douleur, n'avoit pensé à rien, et ce repas simple fut sans doute le plus délicieux qu'il eût fait de sa vie. Le manuscrit ne dit point si la force de l'habitude fit qu'il se retira dans un autre appartement d'abord après le soupé. On laisse au lecteur le soin de le deviner. Pourquoi prolonger les détails? on aime trop à s'appresantir sur le bonheur. Ajoutons seulement qu'ils auroient accepté avec transport, tous les deux, l'offre de passer leur vie entière dans cette terre, loin de la cour, et de toute [77] autre ambition que celle de se plaire; mais le comte devoit trop à son roi pour écouter ce désir. Brûlant d'impatience de lui apprendre son bonheur, d'anéantir cette cruelle idée d'un divorce dont le seul mot le faisoit frémir de lui présenter une épouse adorée, et contente de l'être, il supplia Caroline, dès le lendemain matin, de consentir à partir pour Potsdam.

Elle rougit excessivement à cette proposition; masi se remettant tout de suite, elle lui dit, avec un sourire enchanteur: -- Il seroit bien temps, n'est-ce pas, de n'être plus une sotte enfant? Eh bien! ou, mon cher ami, je vous en prie, conduisez-moi aux pieds du roi. Il me grondera peut-être. Il fera bien; mais je le gronderai aussi à mon tour. -- Vous, mon ange? -- Oui, mon-même; je le gronderai bien fort d'avoir signé cet affreux papier qui nous séparoit pour toujours.

Ils partirent donc, en promettant à Justin et à Louise de revenir bientôt à [78] Walstein. La tendre Caroline le répéta avec transport. -- Oh! oui, oui, nous reviendrons, nous reviendrons ici, dit-elle en serrant la main de Louise, et jetant un regard timide sur le comte: cette terre sera toujours pour moi le séjour du bonheur.

A mesure qu'ils approchoient de Potsdam, le trouble de Caroline augmentoit. Elle n'avoit pas revu le roi depuis le jour de son mariage; et sentant combien il devoit être mécontent d'elle, elle redoutoit à l'excès ce moment. Le comte s'efforçoit de la rassurer; il lui recontoit mille traits de la bonté du grand Frédéric, de cette affabilité qui lui gagnoit tous les coeurs, et le faisoit adorer de ses sujets. -- Il est bien plus que mon roi, lui disoit-il, c'est mon ami. Oui, chère Caroline, c'est à mon ami que je vais présenter celle qui fait le charme de ma vie, et que je tiens de lui-même. Si vous aviez entendu, hier matin, comme il résistoit à la cruelle grâce que je lui demandois, et [79] lorsqu'enfin il céda à mes persécutions, lorsqu'il signa ce fatal papier, et qu'il me le remit, ce fut en me disant: -- Réfléchissez encore, mon cher Walstein; votre résolution m'afflige. J'ai cru vous rendre heureux; je crois encore que vous pourriez l'être: c'est avec regret que j'ai signé ceci, mais j'espère que vous n'en ferez pas usage. -- Voilà, Caroline, celui devant qui vous allez confirmer le bonheur de son ami. Ils étoient déjà dans les cours. Le comte descend, et laisse Caroline dans la voiture. Le roi, suivant sa coutume, alloit monter à cheval, excercer lui-même ses troupes. Il aperçoit Walstein, et s'arrête. -- Ah! vous êtes là, comte; j'en suis bien aise. J'ai pensé à vous hier tout le jour; j'ai vu le chambellan; il ne savoit rien encore. Ne précipitez rien; il faut que je parle moi-même à Caroline; j'ai peine à consentir . . . -- Ah! sire, elle est ici. -- Qui donc? -- Elle, ma Caroline, ma femme, mon amante, l'adorable épouse que votre [80] Majesté m'a donnée, et qui m'en devient plus chère encore. -- Vous extravaguez, comte. -- Non, sire; c'est hier, c'est hier matin que j'étois un insensé. Elle m'a rendu la raison, le bonheur, la vie; elle m'aime, elle veut être à moi. Je me jette à vos pieds, et je vous demande encore une fois Caroline, le plus grand de tous vos bienfaits. Il étoit en effet tombé aux genoux du roi, qui, ne comprenant pas trop qu'une femme pût causer tout ce délire, lui ordonna, en riant, de se relever, et de s'expliquer. Le comte obéit; il raconta au roi le désespoir de Caroline, son arrivée à Walstein, et le désir qu'ils avoient eu tous les deux d'obtenir son pardon et la confirmation de leur union. Il accorda l'un et l'autre avec joie, et voulut en aller assurer lui-même Caroline, qui attendoit toujours dans sa voiture le retour du comte. Elle fut bien émue, en voyant le roi s'approcher d'elle, et voulut descendre; mais le roi l'arrêta, et lui dit: -- Restez, madame la comtesse; [81] c'est bien, très-bien. Oublions le passé; je suis fort content. Soyez toujours unis, et donnez-moi beaucoup de sujets qui vous ressemblent. Il serra la main du comte, salua Caroline, et les laissa pénétrés de cette bonté si rare et si sublime lorsqu'elle se trouve unie au rang suprême.

Ils prirent la route de Berlin, et rentrèrent ensemble dans cet hôtel d'où le comte s'étoit comme banni pour toujours. Il n'est pas besoin d'ajouter qu'ils y jouirent d'un bonheur d'autant plus senti, qu'ils l'avoient acheté par de cruelles peines.

FIN.

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Page Last Updated 9 January 2003