Amélie Mansfield

[Volume II, pp. 217 - 220]

LETTRE LXXII [Continuation I]



Ernest à Adolphe


Du château de Woldemar, 28 Juin à minuit.

[p. 217] Je reviens à mon récit; peut-être le désordre qui y regne vous empêchera de le comprendre; mais dans mon anxiété, comment écrire avec suite et exactitude?

Le médicin, après avoir vu ma mère, revint auprès de vous. "Cet accident [p. 218] ne sera rien, nous dit-il, pourvu qu'on lui évite toute espèce d'emotion: il ne lui faudrait maintenant que de la distraction et un peu de mouvement." M. de Geysa proposa alors de l'engager à venir passer quelques jours à Geysa; le médicin assura que ce petit voyage contribuerait beaucoup à la remettre, et aussitôt qu'on en eut parlé a ma mère, elle l'accepta avec empressement, et parut même désirer de partir dès le lendemain.

Cependant j'étais inquiet du sort de Guillaume: aussitôt que chacun fut retiré le soir, je me rendis chez lui; je le trouvai fort triste: M. de Geysa était venu le jour même announcer de la part de ma mère, qu'il fallait qu'il quittât le château sans délai, et quie sa place était déjà donnée. "Ah, monsieur le comte! me dit-il, je ne me plains point de souffrir pour ma jeune maîtresse; mais vous que j'ai vu au berceau, et qui, depuis votre retour, vous êtes montré si bon si généreux [p. 219], faut-il aller mourir loin de vous? -- Non, bon Guillaume, lui dis-je; de quelque manière que tournent les choses, soyez sûr que nous ne vivrons pas séparés; maintenant ne fatiguons pa ma mère par des instances inutiles; quittez son château puisqu'elle l'exige; mais retirez-vous ici près; je saurai vous retrouver avant peu." En parlant ainsi, je mouillais de mes larmes le visage de ce bon vieillard; car je pensais que si j'étais obligé de fuir avec Amélie, il deviendrait le compagnon de notre exil.

Je ne vous peindra pas combien, pendant notre voyage à Geysa, j'observais avec soin les moindres altérations de la santé de ma mère; mon inquiétude à cet égard était si visible, que plus d'une fois elle me témoigna combien elle en était touchée; et moi, malheureux! je rougissais intérieurement de sa reconnaissance; car, je l'avoue, c'était bien moins la piété filiale que le désir de trouver un moment favorable [p. 220] pour lui parler d'Amélie, qui me rendait si attentif à sa santé.

Enfin, la veille de notre départ de Geysa, Blanche me proposa d'aller visiter la terre de Lunebourg, qui touche à celle de son père. J'acceptai cette partie avec une sorte de joie, me faisant une fête de voir les lieux où Amélie avait passé son enfance et de jouir de l'idée qu'elle avait été partout où j'allais être. Le baron voulut nous accompagner, et ma mère, qui se sentait beaucoup mieux, désira être aussi de la partie.


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Page Last Updated 10 March 2004