Amélie Mansfield

[Volume II, pp. 277 - 280]

LETTRE LXXIX



Amélie à Ernest


8 Août.

[p. 277] Depuis ma dernière lettre, trois semaines se sont écoulées, et votre silence dure encore . . . Ce n'est point un silence de mort, ainsi que je l'ai cru, et la vérité m'est enfin connue.

Il y a huit jours que mon frère m'a quittée. Ce matin est arrivée pour lui une lettre de Blanche; je l'ai ouverte: Albert l'avait permis: voici ce qu'elle contenait: Adolphe de Reinsberg est arrivé chez Madame de Woldemar depuis peu de jours. Depuis peu de jours! et si je vous en crois, il y a plus d'un mois que vous êtes à Dresde; votre lettre du 29 Juin dernier était datée du château de Woldemar. -- Il ne quitte point Ernest, qui est fort mal. Ce n'est donc pas vous qui êtes malade? cette raison, sur laquelle je fondais votre excuse n'existe donc point? -- Sans valoir son ami, il a une sorte de [p. 278] rudesse qu'il serait assez flatteur d'adoucir. -- Je ne vous ai jamais connu cette rudesse; et quelques lignes plus bas, elle ajoute: -- Quoiqu'il traite l'amour de démence, et qu'il condamne sans exception ceux qui s'y livrent, je ne crois pas qu'il en soit si loin qu'il le prétend: deux ou trois choses qu'il m'a dites me prouvent que quelques doux regards le feraient bientôt changer d'opinion et de langage.

Eh quoi! ce serait vous qui ne verriez dans l'amour qu'une folie, et qui pourriez vous laisser subjuguer par une coquette?

Il soigne son ami par devoir, mais sans le plaindre, parce qu'une passion malheureuse est la cause de son mal.

Infortunée Ernest! l'amour te fait mourir, et c'est Adolphe qui n'a pas une larme à donner à ton malheur! Je ne sais plus où fixer ma pensée; tout est contradiction entre ce que vous m'avez dit et ce que Blanche écrit . . La lumière funeste que m'apporte sa lettre n'éclaire qu'une partie de mon sort, [p. 279] l'autre reste dans d'épaisses ténèbres; je suis environnée de piéges, de mystères et de mensonges . . Si vous êtes Adolphe, vous me trahissez maintenant; si vous ne l'êtes point songes dans quel moment vous m'avez trompée . . . le ciel, et peut-être mon coeur, n'ont point de pardon pour un semblable crime.

Si vous n'êtes pas plus Adolphe que vous n'étiez Henry, qui donc êtes-vous? tout de vous m'est inconnu; mais si j'ignore le nom de l'homme auquel j'appartiens, ce que je sais du moins, c'est qu'il m'a indignement trahie; ce que je sais, c'est qu'il s'est joué de ma vertu, de ma vie et de mon bonheur; ce que je sais, c'est qu'il m'a conduite à ce dernier terme de la misère qui me fait envier la condition de la plus méprisable créature qui connaît au moins son séducteur . . Que me faut-il de plus? n'en est-ce pas assez pour être sûre qu'il ne me reste de ressource que le désespoir, et que le moment est venu de décider mon sort? [p. 280] . . si cette lettre vous parvient, et qu'il fût possible que la violence de mes maux vous touchât, quoiqu'assurément mes expressions soient bien faibles pour l'état où je me trouve, et dont moi seule je peux connaître toute l'horreur; que la pitié ne vous ramène point ici; vous m'y chercheriez en vain . . Je ne reverrai plus les lieux où je vous ai connu; je fuis, je renonce à vous, je renonce à tout; je hais un monde où il se trouve de pareilles douleurs et de telles perfidies; enfin, lorsque je pourrais vous croire encore, lorsque vous m'aimériez toujours, je repousserais la confiance, je rejeterais votre amour, et de même qu'à présent, la mort me semblerait plus douce que tout le bonheur que vous pourriez m'offrir.

FIN DU TOME SECOND.


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Page Last Updated 17 March 2004