Amélie Mansfield

[Volume III, pp. 181 - 185]

LETTRE CIII



Blanche à Albert


Le 7 Octobre, à midi.

[p. 181] Mes espérances se fortifient: Amélie est mieux qu'hier; je viens de passer chez ma tante pour le lui dire: cette nouvelle a paru lui faire plaisir. Retournez chez Amélie: vous pouvez lui annoncer que je la verrai bientôt . . . . Ne la quittez point: je vous enverrai à dîner dans sa chambre: j'ai à parler à vos parens en particulier; vous ne viendrez point que vous ne soyez appelée." Ma mère a approuvé cet ordre d'un signe de tête; et moi, le coeur tremblant d'espoir, j'ai été raconter à mes amis l'heureuse disposition où paraissait [p. 182] être Madame de Woldemar: Ernest a regardé Amélie, et est resté en suspend comme n'osant faire éclater sa joie avant qu'elle eût marqué qu'elle la partageait; mais Amélie a baissé les yeux en soupirant, et une sombre douleur s'est répandue sur la physionomie d'Ernest. Votre soeur s'est aperçue de ce changement: nous étions seuls dans la chambre; elle a tendu la main à Ernest, et le faisait asseoir près du canapé où elle était couchée, elle lui a dit: "Pardonne-moi si je n'ose espérer; pardonne-moi de ne plus croire au bonheur, et que les larmes que je ne puis m'empêcher de verser ne me rendent pas importune à ton coeur. -- O mon Amélie! que tes craintes me touchent! au contraire, il me semble que tu m'aimerais moins si tu pouvais te rassurer si vite; et cependant, quand je saisis avec tant d'ardeur la moindre lueur d'espérance, où en est la cause, sinon dans le plus ardent amour? Mais, écoute, mon Amélie, [p. 183] aujourd'hui que tu es plus calme, laisse-moi te parler de notre avenir." Elle a tressailli, ses joues pâles se sont animées d'une vive rougeur; elle a avancé la main pour repousser Ernest; mais voyant qu'elle l'affligeait, sa main est retombé, et souriant avec une douce langueur. "Parlez de notre avenir, a-t-elle dit à Ernest, je vous écoute. -- Ma bien-aimée, je me flatte encore que ma mère, puisqu'elle veut te voir, s'est adoucie, et je suis presque certain que si elle te voit, elle ne résistera pas à ce charme qui captive tout ce qui t'approche; mais si je me trompais, et qu'elle persistât à refuser son consentement à notre union, promets-moi, Amélie, de te résoudre à t'en passer; et moi, je jure, ainsi que je l'ai déjà fait une fois, d'abandonner sans regret ma patrie, ma famille et ma mère. -- Sans regret, Ernest! tu t'abuses: ton coeur n'en est pas capable. -- Je le jure, a-t-il continuè d'un ton plus ferme encore. [p. 184] Peut-être Albert consentira-t-il à nous suivre, et je suis sûr qu'en quelque lieu que nous allions, ton oncle nous accompagnera; ton enfant ne sera plus orphelin, il sera mon fils; je n'existerai plus que pour toi et pour lui: dis, Amélie, n'y consens-tu pas? -- Et pendant que nous serons heureux ensemble, a répondu Amélie, ta mère vieillira sans soutien et mourra seule." Ernest s'est troublé. "Et quand tu apprendras qu'elle n'est plus, tu n'auras aucun regret?" Ernest a marché dans la chambre avec agitation. "Et la nuit, quand son pâle fantôme viendra gémir auprès de la couche nuptiale, tu demeureras paisible et satisfait entre mes bras? -- Arrête! arrête, Amélie! s'est-il écrié en se précipitant à genoux près du canapé, tu me déchires le coeur." Elle s'est soulevée, et posant ses mains sur la tête de son amant, elle a ajouté avec une dignité mêlée d'une tendresse. "C'est parce que je le connais bien ce coeur, c'est [p. 185] parce que je l'estime ce qu'il vaut, que je suis sûre qu'il ne se consolerait jamais d'avoir trahi un devoir sacré. -- Et celui qui m'attache à toi, Amélie, crois-tu qu'il ne le soit pas? -- Celui qui te lie à ta mère est le premier de tous. -- Je t'ai juré de m'unir à toi. -- Je te dégagé de tes sermens. -- Le ciel les a reçus. -- Je t'en dégage, te dis-je, et si c'est un parjure, c'est moi qui m'en rends coupable, c'est moi que le ciel punira." A ces mots, Ernest a serré Amélie dans ses bras en s'écriant: "As-tu donc oublié? . . . Et puis il s'est arrêté tout à coup comme gêné par ma présence; alors, je me suis levée, et j'ai passé dans la chambre à côté pour écrire à Albert ce que je viens d'entendre.


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Page Last Updated 21 April 2004