Amélie Mansfield

[Volume III, pp. 237 - 239]

LETTRE CVII



Albert à Blanche


Vienne, 22 Octobre, sept heures du matin.

[p. 237] Il y a quelque espoir: la nuit a été moins mauvaise, et Adolphe, en partant ce matin pour aller chercher Madame de Woldemar, la ramenera peut-être à tems pour que ce consentement, refusé avec une obstination dénaturée, n'ait pas enfin été donné en vain: c'est sans doute à l'espérance de l'obtenir qu'Amélie doit le mieux qu'elle éprouve: elle a eu quatre heures d'un sommeil doux et paisible; en s'éveillant, elle paraissait ranimée; sa respiration était plus libre, et son teint moins décoloré: le médicin assure que si la fièvre ne redouble pas ce soir, et que la nuit prochaine soit aussi bonne, il sera possible de la sauver. En entendant ces paroles, Ernest a [p. 238] éprouvé une commotion violente; des larmes sont sorties par torrens de ses yeux égarés; il est tombé sur le plancher, et frappant sa tête dans un inconcevable désordre, il articulait des mots sans suite, parmi lesquels je n'ai pu distinguer que ceux-ci: "Elle vivrait! elle vivrait!" Je l'ai conjuré de se calmer. "Amélie a besoin de vous voir près d'elle, et si vous vous montrez dans cet état, lui ai-je dit, vous allez troubler le repos qui peut seul nous la conserver." A ce mot, l'émotion d'Ernest est rentrée toute entière dans son coeur, son extérieur est redevenu calme, et il a été reprendre sa place accoutumée auprès du chevet d'Amélie; mais malgré lui, ses joues brûlantes et ses regards étincelans décelaient le sentiment qui le dévorait. J'ai été obligé de faire sortir de la chambre M. Grandson, qui, moins maître de lui parce qu'il aime moins, ne pouvait contenir sa bruyante joie; nous sommes restés seuls, Ernest, la garde et moi. Amélie [p. 239] a voulu nous parler; mais le médecin nous ayant prescrit de l'en empêcher, nous l'avons conjurée de garder le silence. "Pourquoi donc? a-t-elle dit, me croit-on mieux qu'hier? -- Oui, ma soeur chère; le docteur te trouve très-peu de fièvre; il nous a rassurés: tu vivras; nous espérons tous. -- Et toi aussi, Ernest? lui a-t-elle demandé avec un doux et triste sourire. -- Me le défends-tu, Amélie? je ne veux croire que toi. -- Ne lui parlez donc pas, ai-je repris: quand on nous ordonne d'éviter tout ce qui peut l'émouvoir, est-ce là le sujet dont il faut l'entretenir? "Amélie a souri encore, et pressant ma main contre son coeur, elle a dit à Ernest: "Obéissons à mon frère, et ne parlons plus."


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Page Last Updated 27 April 2004