Amélie Mansfield

[Volume I, pp. 136 - 139]

LETTRE XVIII



Albert à Amélie


Dresde, 15 Septembre

[p. 136] Ne vante plus la force de mon âme, car je suis tourmenté plus sans doute que je ne devrais l'être. On parle du retour d'Ernest, et je vois que Blanche, tout en m'assurant qu'elle n'aime que [p. 137] moi, sourit à l'idée de se faire regretter par son cousin. Je sais bien qu'il faut que quelques ombres se mêlent aux charmes de cette fille adorable; mais pourquoi sont-elles dans son coeur plutôt que dans son caractère? Que n'ai je à lui adresser les mêmes reproches qu'à toi? Oh! que le ciel ne lui a-t-il donné ton coeur, mon Amélie, ton coeur tendre, qui fut la cause de tes erreurs sans doute, mais qui en est aussi l'excuse. Quoique tu en dises, Amélie, un amour véritable n'est pas aveugle, et les défauts de Blanche ne peuvent m'échapper; je vois trop qu'il est des momens où le désir de plaire l'entraîne si impérieusement, que la crainte de blesser l'amitié, l'amour même ne l'arrêterait pas: le repentir viendrait bientôt, j'en suis sûr; mais le mal serait fait, et un mal dont elle ne concevrait peut-être jamais la profondeur. Quelquefois elle se fait un jeu d'exciter ma jalousie; il est rare qu'elle réussisse: je l'estime trop pour [p. 138] la soupçonner; alors elle augmente d'efforts, et quand elle est parvenue à ébranler ma confiance, il semble qu'elle soit plus satisfaite d'elle-même; ainsi donc se rabaisser dans l'opinion de son amant en déchirant son coeur, donner de fausses espérances à des êtres qu'on n'aime pas, se perdre dans leur estime et exciter leur vengeance, voilà l'amusement d'une coquette et ce qu'elle appelle son triomphe; encore est-ce le beau côté de ce caractère, puisque ce manége n'est employé que pour s'assurer la tendresse d'un amant; que serait-ce donc, si n'aimant rien et s'amusant de tout . . . . mais Blanche en est incapable. Hélas! qu'il est cruel d'accuse de pareils torts, la femme à laquelle on a attaché invariablement sa destinée! Pourquoi recourir à la ruse, quand on a tant de charmes? préférer à la touchante dignité de la franchise, le miserable emploi de la finesse? et à cette pure confiance qui augmente l'amour en nourissant l'estime [p. 139], cette inquiétude perpétuelle qui ne l'excite qu'en le corrompant? Je sais que Blanche t'écrit; elle croit avoir à se plaindre de moi: après avoir supporté quelque tems se railleries et son persiflage, je lui ai répondu sur un ton peut-être trop sévère; mais je souffrais cruellement de lui voir gâter à plaisir un si charmant naturel: entraîné par l'ardente affection qu'elle m'inspire, j'ai laissé échapper les vérités qui l'ont blessée. Hélas! si son intérêt ne m'occupait pas bien davantage que le mien, et si je ne cherchais qu'à lui plaire, j'aurais été plus adroit; mais elle m'est si chère que, plutôt que de lui nuire en la flattant, je m'exposerais à perdre sa tendresse. Adieu, ma soeur bien-aimée; tu vois que je ne te parle que d'elle aujourd'hui.


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Page Last Updated 17 January 2004