Amélie Mansfield

[Volume II, pp. 1 - 3]

LETTRE XXXVIII



Ernest à Adolphe


4 Mai.

[p. 1] Je reçois à l'instant votre lettre; elle me surprend, elle m'offense: quels sonts vos projets, Adolphe, et que prétendez-vous faire? Vous croyez-vous le droit d'agir pour moi dans une circonstance qui me regarde seul? Je vous préviens que je ne le souffrirai pas impunément. S'il était possible que vous me trahissiez auprès de ma mère ou de M. Grandson, et qu'Amélie apprît par l'un d'eux que c'est Ernest qui est auprès d'elle, comme elle croirait que je ne suis venu que pour la tromper, et que je ne suis resté que pour la séduire, plutôt que de lui laisser [p. 2] une semblable idée, je jure de ne plus la quitter, de m'attacher à son sort, et de m'unir à elle en dépit de ma mère, de vous, et du cri de ma conscience. Prenez-y garde, Adolphe, en dévoilant la vérité, vous brisez le dernier frein qui me retient encore. Tant que je suis libre, je peux vouloir être vertueux; mais tremblez que je ne le veuille plus, si, m'enlevant la gloire de triompher seul d'un pareil amour, vous m'arrachez l'unique prix digne à mes yeux d'un tel sacrifice. Souvenez-vous, Adolphe, qu'il est des caractères dont on peut tout attendre, en ne paraissant pas douter d'eux; qui n'ont de force qu'autant qu'ils luttent sans soutien; qui, fiers de ce qu'ils peuvent être, s'offensent d'un secours, et du moment qu'ils le reçoivent, abandonnent le combat, et se livrent à la séduction avec la même ardeur qui les y faisait résister. Vous me connaissez, Adophe, vous savez si tel est mon caractère: maintenant, agissez comme il vous plaira; trahissez-moi, [p. 3] je vous le permets; trahissez-moi, je suis prêt à le désirer, puisque c'est le seul moyen de me donner à Amélie.

J'hésitais à aller aux îles Borromées; votre lettre m'a déterminé: je partirai, et sans envelopper, comme vous, mes projets dans une mystérieuse obscurité, je vous déclare que, si vous exécutez votre téméraire menace, je suis aussi résolu à ne vivre que pour Amélie, que décidé à la quitter pour toujours, si vous me laissez seul chargé du soin de répondre de moi. D'après cela, je crois pouvoir assez compter sur votre honneur et sur votre amitié, pour ne pas craindre de continuer à vous instruire de tout ce qui se passera ici.


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Page Last Updated 4 February 2004