Amélie Mansfield

[Volume III, pp. 10 - 12]

LETTRE LXXXIII



Adolphe à Blanche


Du château de Woldemar, 11 Août.

[p. 10] Vous m'ordonnez, Mademoiselle, de vous instruire chaque jour de l'état de votre tante et de votre cousin: je vous obéirai; mais, hélas! je n'ai rien de consolante à vous apprendre.

Ernest, plus abattu par la douleur que par la fièvre, n'a point quitté son lit depuis votre départ; au moinde bruit, il écoute et s'informe si c'est le comte Albert qui arrive; dès que son espérance lui est ôtée, ses yeux se referment à l'instant. Madame de Woldemar a demandé hier à voir son fils: je l'ai priée d'attendre quelques jours encore, en l'assurant qu'ils n'auraient la force ni l'un ni l'autre de supporter une pareille entrevue. Sans savoir précisément jusqu'à quel point Ernest est [p. 11] malade comme elle a craint sans doute qu'il ne le fût assez pour s'attendrir, elle n'a point insisté.

J'espère, Mademoiselle, vous voir instruite avant peu de secret que vous désirez si vivement savoir: Ernest veut le confier au Comte de Lunebourg, et celui-ci le déposera aussitôt, sans doute, dans ce coeur pur qui s'est donné à lui. Heureuse et sainte confiance, Mademoiselle, doux fruit d'un amour vertueux, et le plus précieux trésor dont l'homme puisse jouir sur cette terre!

Ernest désire que j'aille à Dresde pour presser le Comte Albert de venir ici: je compte partir après demain. J'espère que ma présence ne vous sera pas importune, et qu'en faveur du motif qui me guide, vous me pardonnerez de venir troubler les premiers momens de votre réunion avec l'homme que vous aimez.

Vous avez quitté Woldemar, Mademoiselle, avec la persuasion que j'avais un coeur dur que les maux d'Ernest [p. 12] touchaient faiblement. J'avoue que jai cru long-tems qu'il n'y avait point de passions qu'un grand courage ne pût vaincre, et que, sans une faiblesse criminelle, on ne s'abandonnait pas à celles qu'on se reprochait; mais depuis que je suis ici, mon opinion s'est ébranlée je sens qu'on ne dompte pas son coeur comme on le voudrait, et qu'il est tel sacrifice dont la vertu même ne consolerait peut-être pas. Vous voyez, Mademoiselle, que ce que vous appelez mon inexorable stoïcisme n'a point tenu contre la vue d'Ernest et vos raisons, et que les peines que vous avez prises pour l'adoucir n'ont pas été perdues.


Home
Contact Ellen Moody.
Pagemaster: Jim Moody.
Page Last Updated 18 March 2004